
« L’A69 et le COM ne sont plus des projets adaptés à notre époque »
Président du Shift Project, un think tank qui œuvre « pour une économie libérée de la contrainte carbone », Jean-Marc Jancovici était, durant le week-end des 7 et 8 juin à Montpellier pour participer à l’Univershifté aux côtés de Thomas Pesquet et Serge Zaka notamment. En amont de l’événement, Les Indiscrétions ont pu échanger avec lui, à la Brasserie Le Dôme, le 6 juin. ZFE, trait de côte, autoroute A69 ou COM au programme. « Trois questions à », la rubrique où le tutoiement est de rigueur.
Tu abordes le thème du changement climatique en Méditerranée. Pourquoi cette zone serait plus particulièrement touchée ?
Le réchauffement climatique est global, mais ses effets sont très différenciés selon les territoires. Et la Méditerranée cumule plusieurs facteurs de vulnérabilité : déjà tendue sur la ressource en eau, elle subit de plein fouet le stress hydrique, les canicules marines et la montée des extrêmes météorologiques. Il suffit de regarder la situation au Maroc ou dans les Pyrénées-Orientales pour s’en rendre compte. La Méditerranée est aussi une petite mer fermée : elle chauffe plus vite que l’Atlantique. Il ne s’agit donc pas d’un choix arbitraire de focale, mais d’un constat fondé. Si l’on veut comprendre comment les crises climatiques vont transformer nos sociétés, la Méditerranée est un observatoire en temps réel. Aujourd’hui, il faut souligner qu’on ne trouve plus aucun dirigeant de haut niveau qui soit climato-sceptique. On me dira qu’il y a Trump, et moi je dis que Trump est un saltimbanque-héritier.
Que représentent selon toi les projets comme l’A69 ou le Contournement Ouest de Montpellier ?
Ce sont des projets d’un autre temps, hérités d’une époque où l’on croyait encore que toute infrastructure était un levier automatique de croissance. Mais ces projets reposent sur un postulat erroné : que le temps gagné dans les transports serait réinvesti dans l’activité productive. Or, depuis deux siècles, le temps moyen de déplacement quotidien est resté constant. Ce qui change, c’est la distance parcourue. Ajouter des routes n’économise pas du temps, ça allonge les trajets. C’est ce qu’on appelle l’induction de trafic. Le Shift Project et l’autorité environnementale ont souligné que les calculs d’émissions associés au COM étaient biaisés, car ils ne tiennent pas compte de ces réalités. Il ne s’agit pas de militer pour ou contre un projet, mais de poser les bons éléments de débat. Et aujourd’hui, on se décide encore trop souvent sur la base de données fausses ou obsolètes.
En revanche, le projet LGV Montpellier-Perpignan est vertueux. Sur le plan des nuisances atmosphériques, il n’y a pas photo : le train l’emporte. Le cas Paris-Marseille l’a démontré, avec une réduction de 80 % du trafic aérien une fois le TGV en place. Le barreau Bordeaux-Toulouse, lui, pourrait supprimer la moitié du trafic entre Paris et Toulouse, première ligne domestique française. Cela représente un gain considérable en émissions. Mais les arbitrages ne sont jamais simples. Là où l’avion survole les territoires, le rail les traverse. Il faut donc aussi prendre en compte l’impact sur la biodiversité. On se retrouve face à deux dimensions difficilement comparables : des tonnes de CO₂ d’un côté, des espèces protégées de l’autre. La science ne peut pas tout trancher, mais elle peut éclairer. Ensuite, c’est à la collectivité de décider, en connaissance de cause.
La ZFE anime de nombreux débats, comme à Montpellier avec des échanges de noms d’oiseaux entre Julie Frêche (métropole) et Laurent Jaoul (maire de Saint-Brès). Quel regard portes-tu sur ce sujet ?
Les ZFE répondent à un enjeu de pollution locale, pas de climat. Mais elles cristallisent un ressentiment fort car elles posent la question de l’équité. Si vous roulez en vieille bagnole (sic) et que vous voyez entrer une Porsche Cayenne électrique dans la ZFE, il est légitime pour vous de vous sentir lésé. Il aurait fallu penser à des restrictions symétriques, par exemple en excluant aussi les véhicules de plus de deux tonnes. Ce qui compte, c’est d’offrir une alternative. Les gens bougent trois fois par jour, c’est une constante biologique. Si on veut limiter l’impact des déplacements, il faut agir sur leur portée, le mode choisi, la consommation d’énergie… À Montpellier, il y a une alternative proposée avec les transports en commun gratuits. Mais le problème est devenu national, et comme souvent, la récupération politique a brouillé le message. Les restrictions font partie de la vie en société. Ce qui les rend acceptables, c’est qu’elles soient comprises et équitables. Une ZFE mal expliquée ou mal conçue est vécue comme une violence. Pourtant, limiter n’est pas punir : c’est organiser le vivre-ensemble.