
Comment elle a continué à gérer sa PME en soignant un cancer du sein
Dirigeante d’Espace Propreté (Montpellier, nettoyage de locaux professionnels), société à mission dans le domaine de la propreté, Muriel Fournier a expliqué la façon dont elle a géré sa PME tout en devant suivre un traitement médical lourd, après qu’on lui a diagnostiqué fin 2023 un cancer du sein, lors de la 4e soirée réseaux d’Agencehv. Une séquence forte, relative au thème de la santé des dirigeants, qui a suscité l’applaudissement de l’assistance. « Trois questions à », plus que jamais, la rubrique où le tutoiement est de rigueur.
Muriel, comment s’est passée ton année 2024 ?
L’année 2024 a été sportive pour moi. En octobre 2023, on m’a diagnostiqué un cancer du sein. Je n’ai pas de chance : je tombe sur le plus grave des cancers du sein, donc j’ai eu droit à la chimiothérapie la plus agressive. À un moment donné, j’ai dû lâcher prise parce que les traitements étaient trop lourds. Mon arrêt maladie a démarré mi-décembre 2023, date de mon opération. Entre le diagnostic et l’opération, j’ai eu un mois et demi pour organiser l’entreprise pour mon absence future, qui allait durer neuf mois, en 2024. Le fait qu’Espace Propreté soit une société à mission a permis d’avoir déjà une gouvernance co-construite. Cela aide à mieux prévoir ce genre d’événement. Par exemple, nous avons établi un tableau qui s’appelle « Qui fait quoi ? » On a listé les tâches que j’effectue d’habitude, comme « envoyer des factures par mail aux clients ». D’habitude, c’est moi qui le fais. Nous avons déterminé qui devrait s’en occuper en mon absence : le « Qui 1 ». Si le « Qui 1 » est en vacances, « Qui 2 » le fait. Certains salariés en ont pleuré, parce qu’ils avaient l’impression de me remplacer entièrement, mais c’était juste pour me soulager.
Pendant ton absence, ton téléphone a continué à sonner. Comment gérer cette situation ?
Quand on est dirigeant de PME, on ne peut pas quitter une entreprise réellement pendant neuf mois. Sur le papier, j’étais en arrêt maladie, mais dans la vraie vie, j’avais la charge mentale de l’entreprise. Même si je n’étais pas dans l’action, je n’étais pas physiquement au travail, mon téléphone sonnait toujours. Et il a fallu mettre en place beaucoup de stratégies pour que les choses continuent à tourner. À mes employés, je leur ai dit « En gros, la Sécurité Sociale et la prévoyance paient ma rémunération. Si vous voulez que la vôtre tombe, il faut que la boîte continue de tourner, et donc maintenir peu ou prou le même chiffre d’affaires ». Quand des clients cherchaient à me joindre avec insistance, certains salariés ont dû leur mentir. « Muriel n’est pas disponible » ne suffisait plus, au bout de plusieurs appels. Il leur a fallu raconter des histoires. J’ai eu plusieurs fois le covid, j’ai enchaîné les séminaires et les formations (sur le ton de l’humour, ndlr)… J’en ai quand même parlé autour de moi, à certains chefs d’entreprises, dans les réseaux professionnels, parce que j’avais plein de questions. Est-ce qu’on le dit à son banquier, quand on a un cancer ? Va-t-il accepter de continuer à financer mon entreprise ? À quoi j’ai droit ?
Puis, quand j’ai commencé à vraiment en parler autour de moi, j’ai reçu une vague d’appels de chefs d’entreprises, me faisant part d’expériences analogues. J’ai réalisé que ça leur était arrivé, sans que je m’en rende compte. Dans le monde ‘magique’ de l’entrepreneuriat, on ne partage pas ses chimiothérapies. En fait, il y a une espèce d’omerta où on doit tous dire que tout est positif. Et ça m’atterre. Car les conséquences sont lourdes : certains ne se sont pas payés, certains ont planté leur boîte, certains se sont retrouvés dans des situations financières très complexes.
Et aujourd’hui, où en es-tu ?
Aujourd’hui, j’ai de la chance, tous les voyants sont au vert. J’ai gagné (applaudissement dans le Palais des Congrès du Cap d’Agde, ndlr). L’année dernière, nous ne faisions que 50.000 € de moins de chiffre d’affaires, tous les salariés ont eu une prime à la fin de l’année, d’ailleurs. Puis ça me permet d’envisager une nouvelle manière de travailler… puisque certains n’ont pas voulu me rendre les tâches qu’ils ont prises pendant mon absence (rire) ! J’en ai quand même récupéré certaines, dont la partie commerciale.