titre CEMD janvier 2025 1 - Les indiscretions

Imaginer les modèles de demain. « Destination 2040 », nouvelle rubrique prospective des Indiscrétions et la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain – Région Occitanie, va rythmer, une fois par mois, l’année 2025. On commence par le futur du travail. La Région Occitanie s’engage sur le sujet « futur du travail » et explore notamment la relation entre temps de travail, projets à impacts et territoire, via le programme d’expérimentation de la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain, impliquant une vingtaine d’acteurs économiques du territoire.

Le travail nous amènerait-il à ressembler à Emma ? Emma, c’est ce modèle grandeur nature, scientifiquement validé, qui illustre ce vers quoi nous pourrions tendre d’ici à 2040, si nous ne prenons pas soin de nous. Et ce n’est pas reluisant : dos voûté, teint grisâtre, yeux injectés de sang, surpoids, attitude hagarde… Emma effraie ! La faute à de mauvaises postures, à des équipements inadéquats, au tout digital, au télétravail mal cadré, au manque de sens.
Pour éviter ce chaos, l’avenir du travail s’écrit aujourd’hui. Ou plutôt, ce 6 février, date de la 1re Longue-Vue 2025 de la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain (Montpellier), à partir de 17h30*.
Que nous racontent, au gré des reportages, les forces vives d’Occitanie, à propos de futur du travail ?

« Le choix du centre-ville, c’est un choix
de mixité sociale et de contribution
à la revitalisation des commerces
de proximité »

Romain Bessuges-Meusy, Axeptio

Un désir d’inclusion. Au gré des reportages et interviews, je perçois un désir croissant d’inclusion et d’hybridation. Un exemple parlant : celui d’Axeptio (plateforme de gestion des consentements sur internet), qui, à Montpellier, a choisi de quitter la zone du Millénaire pour s’implanter dans le quartier populaire Gambetta, en cœur de ville. Son dirigeant, Romain Bessuges-Meusy, en parle bien. « Nous ne voulions pas nous refermer sur nous-mêmes, entre acteurs de la tech, dans un cocon où l’on pourrait se penser supérieurs aux autres, syndrome de la ‘start-up nation’. Au Millénaire, nous étions entourés de développeurs web, tous identiques, avec des t-shirts trop grands, des shorts et des cheveux longs. Le choix du centre-ville, c’est un choix de mixité sociale et de contribution à la revitalisation des commerces de proximité », plaide-t-il. Il n’est pas le seul à impulser cette démarche, à laquelle sont sensibles les jeunes générations : Enerfip (financement participatif dans la transition énergétique), DevEnR (énergies renouvelables)… Plus généralement, il sera impossible – et c’est déjà fort compliqué – d’imposer un déménagement à ses équipes, dans une zone qui ne conviendrait à personne. Les aménités – transport, accessibilité, services, vie sur place… – deviennent des critères-clés d’attractivité. L’inclusion, ça se passe bien sûr aussi dans entreprise, avec l’accueil de jeunes en difficulté ou de publics éloignés de l’emploi. Saluons à ce titre l’élection récente de la Catalane Nadia Landry à la présidence de la Fédération des entreprises d’insertion. « Les publics d’insertion sont de plus en plus affaiblis par des burn-out, des déséquilibres psychologiques, une déshumanisation des services publics », alerte-t-elle.

Autre clé d’inclusion perçue par la philosophe Gabrielle Halpern, les seniors. « C’est un énorme enjeu, alors qu’il y a peu de créativité. Pourtant, beaucoup de choses sont à imaginer. Par exemple, un format avec 80 % de travail et 20 % d’engagement dans des associations locales, ce qui permettrait à l’entreprise de penser son rapport à son environnement. » Cette souplesse d’approche devra monter en puissance. Un effort à accomplir dans le monde parfois corseté des TPE-PME.

Du sens. Qu’attendra-t-on, demain d’un.e leader ? Au final, des choses très simples, qui reviennent régulièrement sur le terrain. Intégrité et transparence. Impact sur le monde : économie circulaire, transition énergétique, anti-gaspillage, préservation de la biodiversité, décarbonation… Que ce leader sache mêler exigence et confiance, en s’affranchissant de la rigidité surannée des horaires et du présentiel. Qu’elle.il sache écouter et reconnaître ses erreurs. Qu’elle.il donne un cap réaliste, sans polluer soirées et weekend. Et s’inscrive dans une logique de valorisation des équipes, de transmission et de partage raisonnée des richesses. Kaliop (transformation digitale) a impulsé une réflexion sur son impact. « On ne peut pas se limiter à se dire : ‘Qu’est-ce qu’on fabrique, comment on le fabrique et comment c’est utilisé’. Les réflexions doivent aussi porter sur l’effet et les impacts que l’on a sur le territoire où on évolue, au-delà de nos activités propres », décline le fondateur, Pierre Deniset. On entre là dans le numérique responsable, thème inscrit, en 2025, sur la feuille de route du cluster Digital 113.

De l’innovation humaine. Des jeunes dirigeants de PME apportent des réponses concrètes. En Lozère, Atelier Tuffery (manufacture de jeans) affecte chacun de ses salariés à différentes tâches, selon un système bien huilé de rotation. Quitte à perdre un peu en productivité. « C’est indispensable, sinon, j’aurais un turn-over permanent dans mes équipes », glisse Julien Tuffery, PDG.

De la considération. En Occitanie Est, Groupe Littoral (palettes, caisses sur mesure, scierie) investit massivement dans le confort au travail de sa centaine de salariés : ajout de convoyeurs et de bandes, renouvellement des moyens de levage et des engins de manutention… « Nos métiers sont physiques, les gestes souvent répétitifsPour pouvoir recruter et fidéliser, nous devons limiter la pénibilité des métiers, et être irréprochables sur les conditions de sécurité », reconnaît Benjamin Dugrip, dirigeant. Groupe Littoral œuvre avec des missions locales, France Travail et l’association Ardam pour intégrer des personnes sans qualification, à travers des périodes d’immersion.

De l’hybridation. Concept cher à Gabrielle Halpern, « l’hybridation vient gêner les standards et bouscule les cases. Elle est très transgressive, n’est pas une molle synthèse ». L’hybridation du temps de travail consiste à alterner temps de travail en entreprise et temps d’engagement environnemental ou social. Biotope (ingénierie environnementale) est un modèle en la matière : c’est une façon de faire venir et de conserver des talents, alors que cette PME ne peut pas s’aligner sur les grands groupes, côté salaires. Autre exemple d’hybridation, des directeurs d’hôtels concurrents parisiens ont mutualisé leurs moyens pour financer ensemble une crèche d’entreprise. « Ils sont en concurrence frontale, mais ont porté ensemble un projet pour résoudre un problème commun, celui du recrutement », détaille-t-elle. « Ce principe de coopétition, qui mixe compétition et coopération, est encore peu développé en France, enchaîne Jalil Benabdillah. Les acteurs se regroupent certes en clusters et pôles, mais gardent une position défensive entre eux. Or, l’idée, demain, c’est de grossir ensemble pour être meilleurs que les autres à l’international. Il faut franchir ce cap. »

* Entretiens croisés avec Laurent Berger, ex-secrétaire général de la CFDT, la philosophe Gabrielle Halpern (en résidence à la CEMD) et Samuel Durand, auteur du documentaire ‘Work in Progress’ et conférencier sur le futur du travail.
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Nouveaux contrats. Selon la philosophe, « des concurrents vont travailler ensemble avec l’IA, par exemple à travers une chaîne de valeur dans la transition écologique. Des contrats singuliers vont devoir être construits, rendant les choses possibles. L’IA va interroger profondément des métiers qui ont perdu du sens ».

La revanche de la valeur travail ? Le Premier ministre François Bayrou a mis en avant la notion de « valeur travail », dans son discours de politique générale, le 17 janvier. En avance de phase, Matthieu Ourliac, président de Prism’emploi Occitanie, a consacré en 2023 un opus sur ce thème.
Mais la valeur travail ne se décrète pas. Bien avant 2040, l’orientation scolaire doit enfin jouer son rôle de révélateur de vocations, sans a priori culturel et de genre, et de réelle découverte des entreprises et métiers en devenir – médico-social, métiers verts, numérique, industrie, BTP… En clair, l’école ne doit plus être une « machine à désespérer la jeunesse », pour reprendre l’expression de Carole Delga, présidente de la Région Occitanie.

Pour les jeunes et les adultes, la réforme en cours de France Travail doit permettre de mieux connecter les publics éloignés de l’emploi des entreprises qui recrutent. Les besoins vont aller crescendo. La révolution encore naissante de l’IA va revaloriser les filières techniques et professionnelles. Inquiet d’une baisse de qualité de la main-d’œuvre, tant les jeunes cerveaux sont absorbés par le virtuel et le digital, un artisan nous confiait récemment : « L’IA ne remplacera jamais un robinet défectueux ! » Pas plus qu’elle ne cuisinera, cultivera, récoltera, fabriquera, vendra dans les commerces, servira dans les hôtels, bars et restaurants, réparera des moteurs électriques, installera et entretiendra des éoliennes offshore ou des réseaux électriques, etc. En 2040, parce que tant de tâches intellectuelles à moyenne valeur ajoutée auront été automatisées, les mains seront revalorisées. On a hâte d’y être.