titre CEMD juin 2025 2 - Les indiscretions

Et si la culture devenait une alliée de poids au développement économique régional ? Cinéma, animation, jeu vidéo, design, effets visuels… Avec 14 secteurs d’activité, les industries culturelles et créatives (ICC) représentent en Occitanie une force de frappe encore trop méconnue, mais en plein essor.

exterieur villa bastideMathieu Bollet - Les indiscretions
©Mathieu Bollet

Un poids économique multiplié par cinq en moins de dix ans. Porté par un écosystème dense, structuré et reconnu au niveau national, le secteur occitan des ICC se projette en 2040. Les ambitions sont là : créer de l’emploi non délocalisable, renforcer l’attractivité régionale, séduire les donneurs d’ordres… et garder un coup d’avance, car la concurrence, à l’échelle internationale, fait rage.  
Avec plus de 1.000 entreprises et 11.000 emplois, les ICC représentent déjà un pilier économique majeur en Occitanie. La région se distingue notamment dans le domaine de l’audiovisuel, accueillant en moyenne 3.000 jours de tournage par an. Soit cinq fois plus qu’en 2016  ! Cet essor génère des retombées économiques conséquentes, estimées autour de 90 M€ par an pour les tournages de fiction. 
« Les ICC comprennent un volet économique et touristique. Économique, car l’Occitanie est devenue en 8 ans la première région française en termes de nombre de tournage de fictions. C’est notamment lié au travail d’Occitanie Films, qui recherche des lieux emblématiques et les valorise, décrypte Marie-Thérèse Mercier, conseillère régionale. Lors de Hello la Tech, le 27 mai à Montpellier, Laurence Schwob, directrice générale déléguée de la filiale de production France.tv Studio, a insisté sur l’importance de l’accompagnement des collectivités dans l’implantation de France TV à Vendargues en 2017 (lire ci-dessous). Son intervention est en soi révélatrice : la French Tech Méditerranée, organisatrice de Hello la Tech, n’aurait pas mis les ICC en avant il y a seulement trois ans. » 

Un écosystème complet. « L’une des forces majeures de l’Occitanie réside dans son écosystème complet couvrant toutes les étapes de la production audiovisuelle. Des formations spécialisées aux prestataires de services, tout est réuni pour favoriser la création et l’innovation », souligne Luc Pourrinet, directeur du développement de l’école ARTFX, située au nord-ouest de Montpellier, et qui va développer un nouveau campus, implanté dans le quartier Odysseum, à horizon 2028 (à (re)lire ici dans Les Indiscrétions du 16 décembre dernier). 

Une dynamique continue de la filière, avec 5.000 emplois à créer d’ici à 2028. Au cœur d’une région regorgeant d’atouts, avecla mer, la montagne, la plaine, les plages, la Camargue, des studios de production de grande qualité et un ensoleillement idéal, les ICC s’affirment donc comme un puissant vecteur de développement économique. Dans ce contexte porteur, « le rôle du politique est de créer une filière, de faire venir des techniciens, de développer la post-production, les effets spéciaux…, complète Marie-Thérèse Mercier. Il y a le tournage des séries télé, et tout ce qui gravite autour. Une partie de la formation professionnelle dans ces métiers, notamment techniques, est financée par la Région Occitanie. Cet effort renforce la filière, et crée des emplois pour des jeunes. » C’est ainsi que la Région Occitanie a lancé le plan « Occitanie, ça tourne ! » avec l’objectif de devenir un leader européen des ICC. Ce plan, doté de 80 M€ jusqu’en 2028, vise notamment la création de 5.000 emplois supplémentaires dans le secteur. 

Save the date Masterclass Cinema 1 - Les indiscretions

À point nommé : la Masterclass Cinéma « Cap sur les récits au féminin » ce 5 juin à la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain/Région Occitanie, accueille à Montpellier : Emma Benestan et Oulaya Amamra. L’occasion aussi de se projeter en 2040, pour cette filière Occitane dynamique, mobilisée autour de travaux de prospective. Emma Benestan et Oulaya Amamra reviendront sur leur parcours, leurs inspirations, et les clés qui ont accéléré leur émergence dans un univers encore très masculin. Les inscriptions sont ouvertes ici. Lors des dernières éditions des masterclass cinéma, la Région avait accueilli Thomas Bidegain, Agnès de Sacy, Guilhem Causse, Boris Garavini, Mathieu Leblanc et Thomas Mansuy. 

V Studios, une pépite en pleine expansion. L’implantation de V Studios (France Télévisions) à Vendargues, dans une zone industrielle, illustre l’émergence du tournage de séries télé, et l’effervescence qui y est attachée. « Le site de Vendargues, aux portes de Montpellier, s’est imposé comme une évidence pour notre implantation, glisse Olivier Roelens, producteur exécutif pour V Studios C’est un territoire riche mais encore sous-exploité en matière de tournages, avec un vivier préexistant de techniciens, des écoles de cinéma, de 3D, et une vraie diversité de décors naturels. ».  

33 millions d’euros investis et nouvelle série M6. La production de la série ‘Un si grand soleil’ est devenue un marqueur de cette dynamique régionale. « L’accueil des partenaires, des collectivités, le soutien des institutions locales… ont été déterminants », ajoute-t-il. Les relations étroites avec les pouvoirs publics, notamment pour l’obtention des autorisations de tournage sur la voie publique, sont un facteur clé.  
Les capacités des plateaux de France Télévisions, déjà exigus face à une demande croissante, vont doubler de taille dans les prochains mois, dans le cadre d’un investissement de 33 millions d’euros (Les Indiscrétions du 18 novembre 2024, en cliquant ici). Grosse actualité, l’arrivée du tournage de la première série quotidienne de M6 (révélée dès septembre 2024 dans Les Indiscrétionsen cliquant là). Parmi les atouts du territoire, « les 300 jours de soleil par an », qui permettent une production fluide tout au long de l’année, complète Olivier Roelens.  
Il ne faut pas oublier les séries TF1 tournées à Sète, comme « Demain nous appartient » ou « Candice Renoir ». L’Occitanie bénéficie ainsi de la production de séries télévisées quotidiennes pour TF1, France Télévisions ou M6. « Ce sont des tournages qui créent une dynamique d’emploi. Il faut réussir à la garder », note Luc Pourrinet. 

Vecteur d’attractivité touristique. Ces séries offrent aussi, chaque jour auprès du grand public, une visibilité nationale à l’Occitanie. « Des gens viennent visiter Montpellier ou Sète, pour retrouver d’abord les sites de la série, relate Marie-Thérèse Mercier. Ce tourisme joue à plein, avec des retombées par exemple pour le centre-ville, le zoo de Lunaret, La Grande-Motte… » Pour l’anecdote, les offices de tourisme intègrent même des circuits de visite dédiés aux sites des séries.

Esprit solidaire entre les acteurs. Depuis l’appel à projets France 2030, les écoles, entreprises, institutions et studios ont intensifié les échanges. Olivier Roelens confirme : « Nous avons noué des liens avec des producteurs de jeux vidéo installés ici, des prestataires techniques, des loueurs… Il y a une synergie intersectorielle. » Cette synergie est saluée par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), qui considère l’Occitanie comme « région pilote ». Les acteurs concernés se considèrent comme « faisant partie d’un même système, sans être forcément en concurrence ». 
La solidarité entre studios de jeux vidéo, notamment grâce aux associations régionales comme Push Start, renforce l’écosystème local. « Il n’y a pas vraiment de concurrence, plutôt un esprit d’entraide », se félicite Sarah Beaulieu (Ubisoft).  

Montpellier et Toulouse se positionnent comme des pôles majeurs des ICC en France. À Montpellier, on compte plus de 40 emplois salariés pour 1.000 dans les ICC, tandis qu’à Toulouse, ce chiffre se situe entre 30 et 35 pour 1.000. Preuve de l’attrait de l’Occitanie, la Cité Européenne des Scénaristes a pris ses quartiers de 2022 à 2024 dans les murs de la CEMD, à Montpellier.  

Les défis : investisseurs, IA, concurrence internationale… Comment viser plus haut ? En attirant, par exemple, un acteur économique majeur capable d’investir dans le secteur. « C’est ce qui a permis à Marseille et la région Paca d’avancer avec CMA-CGM qui a pris 20 % de Pathé. Nous avons besoin ici d’un partenaire de cette envergure. C’est le défi des prochaines années, il faut réussir à intéresser un donneur d’ordres de grande envergure, qui s’intéresse à la région et qui comprend ses enjeux. L’avenir passera par cela », souffle Luc Pourrinet.  
L’enjeu est bien, pour Marie-Thérèse Mercier, de placer l’Occitanie comme un « petit Hollywood de la Méditerranée. Avec la plateforme de France Télévisions, et l’outils Pics Studio à venir à Saint-Gély-du-Fesc, au nord de Montpellier, nous sommes outillés pour accueillir des séries internationales. Il faut avoir cette ambition ». 

Concurrence rude. Dans cette course, « il y a beaucoup de concurrence. La Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne disposent également de studios de haut niveau. La Grande-Bretagne met en avant son modèle fiscal intéressant par exemple aux studios Amazon. Et le secteur des séries recherche une rentabilité, ajoute Marie-Thérèse Mercier. Dans ce cadre, l’Occitanie a tout pour développer, d’ici à 2040, une place prépondérante, avec 11 projets lauréats dans le cadre de la Grande Fabrique de l’Image, et des financements confirmés. »

Défi environnemental et IA. L’avenir impose aussi de relever d’autres défis. Olivier Roelens alerte sur l’urgence environnementale : « La ressource en eau devient un enjeu majeur. » Il insiste aussi sur les mobilités douces et la production d’énergie comme leviers à développer, notamment la mise en place du bustram qui permettra l’accès à V Studios à Vendargues. 
Par ailleurs, une étude prospective menée par l’Afdas examine l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur les ICC en Occitanie. Elle identifie des transformations majeures à venir dans les processus de création, de production et de diffusion, imposant une adaptation rapide des compétences et des formations. « L’IA va avoir des incidences très fortes. Cela peut être une force pour réduire le coût de certaines productions, mais nous gardons l’emploi comme enjeu prioritaire », précise Marie-Thérèse Mercier.  
L’élue souhaite aussi développer le partie créative / scénaristes en Occitanie. « Pour l’instant, ce secteur est très centralisé à Paris ; Il faut porter des formations en Occitanie dans ce secteur. »  

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À lire ! Une réflexion de long terme portée par le cahier d’inspiration 2050 « L’Odyssée du cinéma », publié par la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain/Région Occitanie. Ce document esquisse quatre scénarios d’anticipation autour du devenir du cinéma et de l’audiovisuel en 2050 : un cinéma numérique omniprésent, des récits coconstruits avec le public, l’effacement des frontières entre fiction et réalité, et la montée en puissance des plateformes immersives. Ce travail de prospective mobilise chercheurs, artistes et professionnels pour penser les conditions d’un cinéma durable, inclusif et innovant, en prise avec les grands enjeux climatiques, sociaux et technologiques. Il constitue une base de réflexion stratégique pour orienter les politiques publiques régionales à moyen et long terme.  

Grand angle : l’essor des jeux vidéo. Après une année passée chez Ubisoft Montpellier, Sarah Beaulieu, scénariste et directrice narrative, se félicite des aides publiques. Ces aides offrent davantage de potentiel et de budget à chaque projet local, un avantage en comparaison avec d’autres villes comme Lyon (où Sarah Beaulieu travaille, note). Un atout qui favorise l’émergence de jeunes studios comme le montpelliérain Sandfall Interactive, à l’origine du jeu Clair Obscur : Expédition 33, qui fait naître de grands espoirs à l’échelle mondiale (3,3 millions de ventes en un mois). 
Aux côtés de Bordeaux, Montpellier figure parmi les métropoles françaises où le jeu vidéo connaît une croissance rapide et efficace. « Ce qui fait l’avenir de Montpellier, ce ne sont pas les studios vétérans, mais les nouveaux studios », poursuit-elle. Selon elle, les défis à relever dans un futur proche sont « les obstacles inhérents à toutes les industries créatives, à savoir des obstacles de budget. Les conditions de l’industrie sont aussi très complexes dans le jeu vidéo, c’est un autre défi majeur ». La filière subit en effet les retombées de la crise post-Covid, avec des projets stoppés en raison de contraintes financières.  

Le saviez-vous ? Le secteur des ICC englobe 14 domaines d’activité, incluant le cinéma, l’animation, le jeu vidéo, le design, les effets visuels, la musique, le spectacle vivant, l’édition, la publicité, l’architecture, la mode, l’artisanat, le tourisme culturel et les arts visuels. Ces domaines mobilisent une large palette de compétences, allant de la création artistique à la gestion de projet, en passant par les technologies numériques et l’ingénierie culturelle.