titre CEMD mars 2025

Faisons-nous violence, agissons en collectif  ! 

couv inspi page 0001 2 797x1024 1 - Les indiscretions

En fait, il n’y a plus le choix. L’économie de demain doit tendre vers une économie « des communs », pour reprendre le terme d’Elinor Ostrom, politologue et économiste américaine, lauréate du Prix Nobel d’économie en 2009. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il devient urgent de repenser notre rapport à la ressource et à la finalité de son utilisation.

« A l’échelle de l’histoire humaine, il est minuit moins quelques secondes, alerte l’anthropologue Philippe Descola. Lorsque minuit sonnera dans quelques décennies nous entrerons dans un monde qu’aucun humain n’aura jamais connu et dont quelques-uns dans les bidonvilles du Sud ont commencé d’expérimenter les effets, les mauvaises nouvelles ne cessent de tomber (…) nous avançons vers l’abîme comme des somnambules. » 

Certes, la trajectoire n’a rien d’évident : nous sommes, et avons de tout temps été, mûs par des intérêts personnels. La gestion collective des biens, l’utilisation durable et équitable des ressources, ne sont pas les biais les plus simples à mettre en place, ni les plus rentables à court terme. 

Mais à l’heure où les matières premières s’épuisent, où la défiance démocratique grandit, où les données numériques explosent (que dire de l’impact environnemental, démentiel, de l’IA et du digital ?), il faut approfondir cette notion de commun. Pour affronter les enjeux climatiques et les inégalités croissantes, faisons-nous violence, agissons collectif !

Un espoir se dessine, comme en atteste le cahier d’inspiration « L’esprit des communs » (42 pages d’intelligence, disponible en cliquant ici), tout juste édité par la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain (CEMD). On y découvre plein de motifs de se réjouir et d’agir, tout près d’ici. 

Faire le pari du local est un investissement d’avenir. A fortiori dans un monde globalisé, en proie aux aléas géopolitiques. C’est l’esprit de la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain, où se croisent, pêle-mêle, entreprises, philosophes, universitaires, clusters, associations, bénévoles… C’est aussi l’esprit d’Atelier Tuffery (Florac – 48). Ses dirigeants, Julien et Myriam Tuffery, ouvrent la manufacture sur le village, pour des spectacles, pièces de théâtre, visionnage de matchs de rugby… 

Mettre en place une gouvernance de la tech. Avec le déferlement des géants de la tech, des scénarios jusqu’ici impensables se déroulent sous nos yeux. Elon Musk, milliardaire autoproclamé vice-président des Etats-Unis, qui s’immisce dans les élections législatives en Allemagne. Ou, fait très rare en Europe : l’annulation, en décembre dernier, de la tenue du second tour de la présidentielle roumaine par le juge constitutionnel, du fait d’une ingérence russe et de l’usage exclusif de la plateforme TikTok par le candidat pro-russe. « Les bouleversements technologiques actuels, ces ruptures et disruptions, réactualisent des questions éternelles : qu’est-ce que la démocratie, la souveraineté, l’État de droit ? Ces enjeux, qui reviennent sur le devant de la scène, traversent même les doctrines militaires, avec des interrogations sur l’information et l’opinion publique », relève la politologue Asma Mhalla. Comment réguler les géants américains « qui fonctionnent, de fait, comme des infrastructures publiques ? Le véritable enjeu n’est pas tant leurs algorithmes, mais leur gouvernance », ajoute-t-elle. À leurs niveaux, les forces vives d’Occitanie apportent leurs lumières. À travers son dispositif « Facilitateur de Numérique Responsable », Digital 113, cluster numérique du régional, accompagne ainsi les entreprises dans l’adoption de pratiques éthiques et respectueuses de l’environnement. Trois comités stratégiques pilotent ce dispositif : l’un se concentre sur la programmation du Green IT Day (qui s’est déroulé 4 années d’affilée à la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain), le deuxième propose des ateliers de sensibilisation, et le troisième élabore des guides pratiques pour accompagner les entreprises.

Enjeu vital pour notre simple survie, la préservation de l’eau passe un modèle des communs. Pour éviter des « guerres de l’eau », maintes fois annoncées. C’est ce qu’explore et promeut inlassablement Éric Servat, directeur du centre international UNESCO sur l’eau « Icireward », fédération de laboratoires scientifiques. L’international doit nous inspirer, insiste l’universitaire. Il prend exemple, en Afrique, sur l’Autorité du bassin du Niger, qui permet « à neuf pays riverains de se concerter sur la gestion du fleuve. Ils partagent leurs données et discutent ensemble des projets d’aménagement ». Autre modèle : l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal, rassemblant la Guinée, le Mali, le Sénégal et la Mauritanie, qui a su mettre un terme à des guerres armées autour de l’eau.

La jeunesse en rupture. Le plus grand espoir vient de la jeunesse, parfois agaçante, mais si prompte aux vraies ruptures. Sa conscience environnementale, très affûtée, nous questionne sur nos propres choix et habitudes. 
Scènes vues et vécues chez Agencehv (éditrice des Indiscrétions), dont les salariés sont tous âgés entre 20 et 30 ans : ils passent le permis de conduire bien plus tard que les générations les ayant précédés (et encore, quand ils le passent). Et quand ils finissent par le décrocher, la possession d’une voiture n’est pas le Graal de la liberté. Pour eux, le plastique, c’est vraiment nul. Un voyage s’étudie aussi à l’aune de son bilan carbone, mais aussi les déplacements du quotidien. « Pour notre séminaire, covoiturons ! », ai-je plusieurs fois entendu à la machine à café (à grains, cela va de soi). On installe des ruches sur le toit de l’école pour favoriser la biodiversité et faire notre miel. La consommation numérique de l’agence fait l’objet d’un suivi attentif. Autant d’attitudes, gestes, initiatives très rafraîchissantes, qui interrogent notre avenir.  

« La lutte contre le réchauffement climatique, c’est le combat des nouvelles générations, nées après l’an 2000. C’est ce qui les distinguent des générations précédentes, qui n’avaient pas d’idéaux et étaient centrées sur la consommation », constate Loïc Douyère, directeur associé de Florian Mantione Institut RH. Le fossé est au demeurant criant, dans les métropoles toulousaines et montpelliéraines, entre les voies cyclables, majoritairement utilisées par les plus jeunes, et, juste à côté, les embouteillages de voitures, s’étirant aux heures de pointe comme un symbole encore vivant de « l’ancien monde ». 

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Prix à payer. Protéger les ressources, mettre en place des règles d’accès et de partage pour partager et non plus s’accaparer : ce grand défi des communs passera aussi par un effort financier, au quotidien, dans chacun de nos actes d’achat. Pour défendre la qualité et le local, mais aussi agir à l’échelle planétaire. Exemple avec le café, dont les cours flambent à l’échelle mondiale. « Il faudra, à moyen terme, accepter de payer le café deux, trois ou quatre fois plus cher, avertit Stéphane Dessaigne (Cafés Bibal, torréfacteur, Saint-Aunès – 34). Le modèle actuel dans les pays producteurs, héritier de la colonisation et de l’esclavagisme, est à bout de souffle. La main-d’œuvre ne voudra plus y être exploité. Le prix payé par le consommateur européen est aujourd’hui trop faible, et les marges des grands groupes et enseignes de coffee shop trop élevées. Le café redeviendra un produit de luxe. » 

L’entreprise s’impose ainsi comme un espace de « commun », où l’on « fait société ». « Regardez ce qu’il s’est passé lors des grands mouvements récents – les Gilets jaunes, la crise du Covid, le conflit autour des retraites. Cela concernait le travail, mais dans l’entreprise, la conflictualité est restée stable, voire a baissé. Parce que l’entreprise reste un espace de commun. Le commun, ce n’est pas être d’accord sur tout. C’est reconnaître qu’il y a un intérêt partagé à co-construire ensemble », souligne Laurent Berger, ex-secrétaire général de la CFDT, aujourd’hui directeur de l’Institut Mutualiste pour l’Environnement et la Solidarité du Crédit Mutuel.

J’irais plus loin : toutes les convictions politiques et religieuses, toutes les origines ethniques et les sensibilités, se côtoient pacifiquement en entreprise. Celle-ci se plaçant au cœur du « nouveau pacte social républicain », pour reprendre le terme de Grégory Blanvillain, président de la CPME 34, lors de ses vœux, le 24 janvier.

> Télécharger le cahier d’inspiration « L’esprit des communes » en cliquant ici