
Comment « apprendre à apprendre », dans un environnement en perpétuelle et intense mutation ?

Loin d’être un acte figé, l’apprentissage est désormais en mouvement, percuté par l’effet des avancées technologiques, des évolutions sociétales et des besoins nouveaux du monde du travail. L’intelligence artificielle, la réalité augmentée et les plateformes d’apprentissage adaptatif transforment les méthodes pédagogiques. L’enseignement devient plus individualisé : chaque apprenant peut désormais progresser à son rythme grâce à des outils qui identifient ses points forts et ses difficultés en temps réel. La frontière entre les moments d’apprentissage et le quotidien s’efface : nous apprenons partout et tout le temps, grâce aux contenus accessibles sur nos téléphones, montres ou lunettes connectées.
Se réinventer et non plus s’adapter. Pour préparer l’avenir, il ne suffit plus de s’adapter. Le progrès technologique et la quête de sens poussent des générations à se réinventer. Les entrepreneurs et salariés n’acceptent plus de “faire sans savoir pourquoi”. Comme le résume Isabelle Rouhan, présidente de l’Observatoire des Métiers du Futur, « la tâche répétitive qui est pénible et pas palpitante est en train de disparaître. Ce qui laisse plus de temps pour le conseil, l’échange… et pour se former ». Pour Bernard Stiegler, philosophe, « il est possible de valoriser les savoirs des gens, à condition de pouvoir les développer. Donc la question, à travers tout ça, c’est la formation, l’éducation ».
Apprendre autrement. Les machines aussi apprennent ! Ce qui pousse l’humain à repenser sa valeur ajoutée. Comme l’explique François Taddei, chercheur, « à partir du moment où les machines apprennent, il va falloir qu’on soit encore plus humain ». Autrement dit, face à des technologies capables de raisonner, classer, automatiser, c’est la créativité, l’empathie, la coopération ou encore la capacité à apprendre autrement qui deviennent primordiales. Une valeur ajoutée que l’humain aura toujours par rapport aux machines.
Un enjeu pris à bras le corps par la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain, salutaire structure de prospective-action, créée par la Région Occitanie, qui porte le programme “2025 : IA, on accélère !”, en partenariat avec Leader Occitanie et l’Université de Montpellier. Au total 21 entreprises sont réunies : 110 participants, dirigeants et collaborateurs, pour une exploration collective où chacun apprend l’innovation par la pratique et projette son métier augmenté de l’IA.
« La Cité de l’Economie et des Métiers de Demain pilote des expérimentations autour du Futur du Travail, dont ce programme, pour garantir que les avancées en IA bénéficient à tous, tout en préservant la centralité de l’humain », détaillent les équipes.
Chaque révolution industrielle emporte avec elle son lot de métiers devenus tout à coup obsolète, que ce soit celle de 1770 à 1850 autour du charbon et du chemin de fer, ou celle de 1850 à 1915 autour du pétrole, de l’électricité et de l’automobile. Mais la révolution actuelle ne se contente pas de transformer les outils. Elle interroge en profondeur notre rapport au travail, à la formation, et à ce que signifient “travailler” et “apprendre”.

Curiosité et créativité au centre. « L’essentiel se situe désormais autour de la curiosité, de la créativité. Il faut maintenir ce lien à l’envie de créer, l’envie de faire émerveiller, l’envie d’inspirer les gens. Pour n’importe quel type de poste, c’est mobilisateur. Ça me paraît fondamental aussi bien quand on parle des défis numériques, écologiques, sociétaux… », énumère Lucien Bonhomme, coordinateur à la Fabrique des Possibles (Montpellier).
Comment encourager une culture du réapprentissage continu, au-delà des seules logiques de reconversion ? Selon lui, « il faut toujours aller vers la nouveauté. Ça passe par la curiosité mais surtout par le fait de se relier à des initiatives grandissantes, en se formant, en se réorientant, en allant découvrir des postes, des métiers nouveaux ou en voie d’accélération. Évidemment, ça commence par le relationnel avant de passer le premier pas de la formation. Il faut aller rencontrer des professionnels qui travaillent sur de nouveaux sujets ».
Jeans : Atelier Tuffery forme à la totalité des gestes. L’apprentissage est mis à l’honneur dans le dernier documentaire de Samuel Durand, expert des questions du Futur du Travail et dont La Cité de l’Economie et des Métiers de Demain est partenaire. « Skills make it work » explore la transformation des entreprises par les compétences : dans un monde en incertitude, apprendre à chaque instant devient la norme. La preuve par l’exemple avec une entreprise occitane :
Atelier Tuffery, fabricant de jeans à Florac, en Lozère, innove dans son organisation du travail, pour faire la chasse aux gestes répétitifs de la confection d’un jean. « Nous avons deux ans et demi de formation en interne, parce qu’on forme à l’entièreté des gestes », explique Julien Tuffery, président de l’atelier. « La polyvalence est au cœur de la confection, ajoute Clémentine Lemaître, cheffe d’atelier. Ça permet de rythmer le travail sans mettre de chrono sur les tables. »
Comme le rappelle Benoît Serre, dans le documentaire, vice-président de l’association nationale des DRH, « redonner à chaque collaborateur une vision claire d’où il est dans la chaîne de valeur, de ce qu’il fait, de pourquoi il le fait… c’est la réponse fondamentale au management des organisations aujourd’hui ».
Pas d’apprentissage sans sens. La quête de sens que formulent aujourd’hui de nombreux salariés traduit un changement radical dans notre rapport aux compétences et à l’apprentissage. « Nous voyons des individus qui ne cherchent plus seulement à se former à un métier, mais qui veulent trouver du sens à la fois pour eux-mêmes et pour la société, la planète », explique Camille Demange (Mon job de sens, organisme de formation), coach et conseillère en évolution professionnelle. Cette démarche conduit à dépasser la logique classique de formation à un métier unique. Selon elle, ce qui s’impose désormais, c’est « l’émergence des soft skills », ces compétences humaines transversales comme « l’agilité, la flexibilité, la communication, l’écoute, le relationnel ou encore la gestion de conflits ». Des qualités qui permettent de se démarquer face aux mutations accélérées par l’automatisation, l’IA ou la transition écologique.
Former aux nouveaux enjeux, via le réapprentissage continu. Les entreprises sont bien sûr directement impactées, pour rester compétitives et attractives. « Il y a la responsabilité des entreprises d’intégrer des formations sur les enjeux énergie, climat, dans tous les secteurs », souligne Camille Demange, citant les outils de sensibilisation comme les fresques du climat. Mais le réapprentissage continu relève aussi d’une démarche individuelle : « Trop peu de personnes connaissent les dispositifs comme le CPF ou le bilan de compétences. Pourtant, cela permet de se former sans forcément démissionner. » Elle insiste sur la possibilité de cumuler plusieurs activités ou de se former en parallèle de son emploi.
Les tiers-lieux et espaces collaboratifs, lieux privilégiés d’apprentissage. Camille Demange observe que les tiers-lieux et espaces hybrides favorisent cet apprentissage permanent. « Ces lieux créent du lien, permettent de découvrir de nouveaux métiers et de se documenter », qu’il s’agisse de The Island à Montpellier ou de La Palanquée à Sète, où elle accompagne les personnes qu’elle suit. Pour elle, accompagner la transition, à l’image de la dynamique que porte la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain ici en Occitanie, c’est aussi aider chacun à « identifier ses talents naturels » afin de bâtir un parcours où l’apprentissage reste en dialogue avec les aspirations profondes.