Grogne salariale inédite chez Ubisoft Montpellier

26 février 2024
Matthieu Dutheil et Clément Montigny Ubisoft
Matthieu Dutheil (à gauche) et Clément Montigny. Geeks, mais pas fous. ©Hubert Vialatte

Dans le monde feutré de l’industrie des jeux vidéo, ce mouvement social est inédit. Une quinzaine de salariés d’Ubisoft Montpellier (Castelnau-le-Lez) se réunissent le 14 février devant le site qui emploie 470 salariés, à l’appel national des syndicats STJV, Solidaires Informatique, la CFE CGC, et aussi, à Montpellier, du Printemps écologique. « Les premières négociations annuelles obligatoires Ubisoft (les premières sections syndicales se sont créées en 2020, note), qui viennent de se terminer fin janvier, ont été très insatisfaisantes, explique Clément Montigny, programmeur online et délégué syndical de la section STJV d’Ubisoft Montpellier. Nous avons demandé une enveloppe d’augmentation générale de 5 %, pondérée en faveur des 25 % des salaires les plus bas. La direction propose 2,8 % d’augmentation, comme l’an dernier. Nous avons rejeté le projet d’accord. »

Double discours de la direction. Concernant la situation financière difficile d’Ubisoft (plan d’économies de 200 millions d’euros annoncé), qui pourrait justifier des hausses modérées de salaires, Clément Montigny répond aux Indiscrétions : « L’entreprise n’est pas une unité quantique. On ne peut pas, le matin, dire ‘l’entreprise va très bien’, quand il s’agit de parler aux investisseurs, et ensuite dire qu’elle va très mal quand il s’agit d’augmenter les salariés. Ce n’est pas acceptable dans le contexte inflationniste actuel. Nous pouvons entendre que l’an dernier, la situation économique était difficile. Mais des choix stratégiques de l’entreprise peuvent être discutés, notamment le fait de privilégier de très gros projets (Beyond Good and Evil 2, Prince of Persia), qui mobilisent certains salariés sur des carrières entières, alors que Beyond Good and Evil 2 est en production depuis environ dix ans – et on n’en voit pas le bout. Il y a une dimension de risque psycho-social, mise en évidence dans une enquête dans les locaux de l’Inspection du Travail, en octobre 2022. Ubisoft fait le choix stratégique des grosses productions, avec beaucoup d’équipes et beaucoup de moyens. Nous estimons que ce mode de production représente de forts risques psycho-sociaux. Ceux qui travaillent sur des grosses productions qui tardent à sortir ne voient pas leur travail reconnu. On demande à la direction davantage de projets, pour permettre aux salariés de tourner. »

Plus d’expérimentations RH. Le syndicaliste critique également le mode d’augmentation chez Ubisoft. « Aujourd’hui, Ubisoft procède à des augmentations annuelles, sur la base de revue de performance. Il n’y a pas d’augmentation générale. Cela détériore l’ambiance au sein des équipes, et les écarts de salaires se créent au fil des années. C’est un peu le royaume de l’arbitraire. »
Autre revendication, une expérimentation autour de la semaine de 4 jours, et la pérennisation du télétravail. « Il n’y a qu’une charte sur le télétravail, mais pas d’accord d’entreprise, alors que cela fait partie du monde du multimédia. (…) L’industrie du jeu vidéo commence à dater, elle remonte à environ 30 ans. Mais le syndicalisme y est né récemment. La grève est nouvelle dans notre industrie. Nous sommes 15 à 9 heures du matin, c’est positif, d’autant plus que beaucoup de salariés, ce mercredi en télétravail, font grève en restant chez eux », conclut Clément Montigny.

Guerre des salaires. « Plutôt que de faire des économies, comme c’est la stratégie d’Ubisoft, il nous semble qu’il est primordial d’investir dans les salaires, enchaîne Matthieu Dutheil, délégué syndical du Printemps Ecologique, manager à Ubisoft. À Montpellier, il y a un décrochage salarial dans les jeux vidéo par rapport à d’autres villes, car il n’y avait pas de concurrence. Depuis l’après-Covid, d’autres entreprises se sont implantées à Montpellier, et commencent à engager des salariés d’Ubisoft, en leur proposant des salaires nettement supérieurs, parfois jusqu’à un doublement. Des seniors sont partis, ce qui a impacté la productivité des projets. Pour garder les talents, au lieu de faire le moins-disant, nous demandons à la direction de montrer une volonté de combler les écarts, même si nous comprenons qu’on ne peut pas toujours s’aligner complètement. Par exemple, Build A Rocket Boy a installé un studio au Polygone Montpellier, avec une vingtaine de salariés. »

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