Mécenat et Soft Power, de faux amis ?

17 février 2025
Eric Torremocha ©Guilhem Canam - Les indiscretions
Eric Torremocha, agent général d’assurance Allianz depuis 10 ans ©Guilhem Canal

Passer à la postérité, probablement le dessein plus ou moins voilé de nos ministres. Ou la quête de reconnaissance en donnant son nom à une loi. Si le nom d’anciens ministres est devenu usuel – Madelin (qui a mis en place une loi qui permet aux travailleurs non-salariés de déduire fiscalement leurs cotisations santé, prévoyance et retraite) ou Hamon (loi qui permet de changer d’assureur à tout moment de l’année sur certains contrats), le nom de Jean-Jacques Aillagon est certainement moins célèbre. 

Et pourtant ! Cet ancien Ministre de la Culture, passionné de culture et d’arts, a grandement favorisé le développement du mécénat, qu’il vienne des particuliers ou des entreprises, grâce à la loi du 1er août 2003. Grâce à la sacro-sainte « carotte » fiscale française. Très efficace pour l’occasion : côté particuliers, 66 % du don, plafonné à 20 % du revenu imposable, assorti d’une possibilité de report de l’excédent du don sur cinq ans. Et côté entreprises, une réduction d’impôt de 60 % sur l’impôt sur les sociétés dans la limite de cinq pour mille du chiffre d’affaires hors taxes. Le bilan parle de lui-même. Selon le site du ministère de la culture (lire ici), nous sommes passés de 1,3 million de donateurs particuliers en 2005 à 5,4 millions en 2022 avec quatre fois plus de structures dédiées à la philanthropie en 20 ans. Les Indiscrétions ne s’y sont pas trompées, en consacrant un article, la semaine dernière, sur la Fondation Saint-Pierre (lire en cliquant ici).
Et les entreprises mécènes ne sont pas en reste : elles sont trois plus nombreuses chez les PME et deux fois plus chez les ETI depuis 2010. Avec notamment un chiffre fort : 400 millions d’euros, pour la dotation annuelle des entreprises mécènes pour la culture.

Le mécénat serait-il le pendant des travers du capitalisme forcené? Oui… mais la réalité est plus nuancée. Oui, dans la mesure où financer des projets sportifs, culturels donne une image positive de l’entreprise, en phase avec son rôle sociétal sur un territoire. Dans la même veine, les salariés d’une entreprise mécène développent un sentiment d’appartenance fort, en phase avec des valeurs humanistes. Même combat pour leurs clients qui préfèreront une entreprise « engagée ». Les objectifs peuvent néanmoins être multiples. Le mécénat est aussi une façon d’augmenter son niveau d’influence et de peser sur le débat public, une forme de « soft power », terme plutôt utilisé pour les Etats. Une entreprise sera forcément plus écoutée si son engagement sur un territoire est important. Utiliser la persuasion plus que la coercition est forcément plus pertinent. En clair, on ne tord pas le bras des gens avec qui on veut nouer une relation économique durable.

À une échelle plus large, le « soft power » a pris une tout autre dimension. C’est de cette façon que de nombreux pays essaient de jouer un rôle sur la scène internationale. Et les États-Unis en sont le parfait exemple, étant les numéros 1 dans ce petit jeu. L’Amérique de Reagan des années 80 et sa culture blockbuster exportée via les héros de cinéma et ses chaînes de fast food, a eu un succès immense. À date, si le « rêve américain » a laissé les plus défavorisés sur le carreau, les États-Unis rayonnent encore grâce à leur puissance économique – notre Président a récemment évoqué notre retard sur l’IA face à eux et à la Chine – , leur pouvoir diplomatique mais aussi le prestige de leurs grandes écoles toujours classées dans le Top 10. 

À l’inverse, en arrachant à prix d’or un évènement sportif mondial comme le mondial de foot, le Qatar n’a malheureusement pas fait oublier le désastre écologique et humain qui en découlé. The Guardian avait ainsi annoncé la mort de 6.500 ouvriers immigrés morts sur les chantiers entre 2011 et 2022. Idée de départ intéressante mais réalisation catastrophique, l’argent n’achète pas tout. 

Au final, une stratégie d’influence vertueuse, en utilisant notamment le mécénat, est-elle condamnable ? Dans un contexte de surendettement de l’État, toute contribution à la culture, au sport et à la solidarité parait aujourd’hui incontournable. Toutes les aides sont les bienvenues : en temps, en monnaie sonnante et trébuchante mais aussi en partage… d’influence.

Mon mécénat de la journée : mettre en relation des personnes qui souhaitent donner et d’autres qui ont des besoins… 

Eric Torremocha revient pour une nouvelle tribune partenaire la semaine du 31 mars.

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