
Tout sur la finance verte, ce 11 juin, lors de la soirée organisée au MIBI (Montpellier) par l’Agence de Développement et des Transitions et Occitanie Place Financière, avec dix intervenants experts, du banquier central au chef d’entreprise en passant par des entrepreneurs, l’investisseur public ou privé, le consultant ESG ou encore la CCI de l’Hérault.
Objectif : décoder la finance verte pour les entrepreneurs, comprendre ses mécanismes et ses conditions d’accès, sa réglementation mouvante et en quoi elle est un levier pour la transition des entreprises. Compte-rendu ci-dessous, et vidéo en cliquant ici. Agencehv (Hubert Vialatte) a eu le plaisir d’animer les débats. Nos références en matière d’animation en cliquant ici.
Une réglementation européenne qui recule, mais une pression qui augmente
« Le reporting extra-financier devient volontaire pour les ETI, avec le report de la directive CSRD de deux ans. Mais dans les faits, tout le monde y passe, car les donneurs d’ordre exigent des comptes », souligne Siham Taouich, commissaire aux comptes chez EY.
Elle insiste ainsi sur un paradoxe : « Aujourd’hui, les obligations formelles s’allègent, mais la pression de marché s’intensifie. Il faut comprendre que même sans obligation réglementaire, les entreprises doivent produire des indicateurs. C’est une logique de marché. »

Et cette logique s’étend : « Les entreprises sont de plus en plus évaluées par leurs financeurs sur leurs engagements ESG. »
Impact du climat sur l’économie : ne rien faire coûtera plus cher que faire
À travers des scénarios climatiques modélisés par le réseau NGFS (Network for Greening the Financial System), les banques centrales alertent : « Le coût de l’inaction est supérieur à celui de l’action. Des macro-modélisations sont en cours », résume Pascal Tachon, directeur de la Banque de France de l’Hérault. Il insiste : « Il faut voir la finance verte comme un investissement dans la stabilité. » « Si on ne fait rien, on va dans le mur », résume Odile Téaldi (Banque Populaire du Sud).
La Banque de France joue déjà un rôle moteur : « Nous avons développé un indicateur climat pour permettre aux entreprises de se situer. À terme, ces données pourraient même influencer les cotations Banque de France. » En insistant sur le rôle vertueux pour les entreprises : « Des éléments extra-financiers favorables limitent le risque de défaillances. »
Un concept encore difficile à cerner
La définition de la finance verte reste mouvante. « C’est un mot-valise qui couvre à la fois des normes, des dispositifs de financement, et une philosophie d’action », synthétise Fabien Mansalier, directeur d’investissements de Sofilaro (Crédit Agricole du Languedoc).
Chez la société de gestion régionale OCCTÉ (Arec Occitanie), Emmanuelle Ostiari, directrice d’investissement et responsable ESG, note : « Certaines entreprises ne sont pas outillées pour pouvoir orienter les enjeux importants pour elles. »
Elle évoque un cas concret : « Un développeur d’EnR peut dire : ‘Je fais déjà part du travail du fait de mon activité. Je n’ai pas envie de passer du temps sur l’ESG.’ Dans ce cas, nous mobilisons un consultant spécialisé sur les sujets ESG dans les énergies renouvelables. » Et la dimension ESG est bel et bien présente, y compris dans des filières jugées vertueuses comme les EnR : « charte d’achats responsables sur les conditions d’approvisionnement et partage de cette charte avec l’ensemble des parties contractuelles, acceptation sociale des projets (ce qui est un vrai sujet), enjeux de l’impact sur la biodiversité… » Ce type d’étude devient indispensable pour « se rendre acceptable auprès des investisseurs ».
« Au-delà des projets, les organismes de financement demandent à ce que l’on s’engage sur des critères RSE par exemple afin de pouvoir bénéficier de prêts bonifiés. C’est ce que l’on fait chez Sowen Group, avec par exemple une flotte de véhicules 100% électrique, le soutien à des associations de solidarité comme par exemple Energies solidaires, ou le fait d’effectuer un maximum de trajets en train », relate Carlos Mesias.
Prêts à taux bonifiés : une ingénierie financière qui évolue

Bpifrance, Banque Populaire du Sud, Sofilaro proposent des outils de financement vert.
Côté Banque Populaire du Sud, Odile Téaldi admet que « le pilotage des critères RSE est encore récent. Mais il prend de l’ampleur. Le prêt à impact est un levier simple, concret, qui est aussi une source pour développement de nouvelles chaînes de valeur dans les entreprises : économies d’eau, installations solaires pour revendre ou autoconsommer… »
Et chez Bpifrance, Gentiane Gire complète : « Il ne s’agit pas de juger. À travers l’indice de maturité climat, nous permet de situer le client dans sa transition, et d’adapter nos solutions. » Des projets sont désormais non-financés par Bpifrance, comme « des projets immobiliers dans des passoires énergétiques, sans rénovation prévue », ou des projets de mobilité basées sur la seule énergie fossile.
Fabien Mansalier insiste : « On ne peut pas faire de la finance verte sans mesurer. Sinon, on reste dans le déclaratif. Le taux d’intérêt payé par le porteur de projet est réduit au regard du fait que son projet va servir des externalités positives : diminution du bilan carbone, nombre de MW installé pour un projet d’énergie renouvelable, transition de flotte de véhicules à énergie fossile vers des flottes à énergie bas carbone, recours à du financement participatif… Les objectifs fixés initialement sont mesurés. S’ils sont atteints, le taux d’intérêt sera réduit. »
L’écosystème régional joue au service de l’émergence de certains projets. Comme pour la levée de fonds de Scop 3 (solution digitale pour l’aménagement d’espaces professionnels avec du mobilier durable – reconditionné, écoconçu et upcyclé, 16 salariés, CA : 2 M€, Pérols – 34) de 5,2 M€ en 2024. Alors que l’activité de la PME est à impact, on aurait pu penser que les fonds ont été levés auprès de fonds… à impact. « Eh non, répond Sophie Contreras, cofondatrice. Les fonds à impact n’ont pas compris notre activité. Ce sont des fonds régionaux, eux pas classifiés à impact, qui nous ont accompagnés, comme Sofilaro. Le message, c’est que la finance verte peut être opérée par des acteurs classiques. »
Carlos Mesias, président de Sowen Group (acteur des énergies renouvelables, avec un producteur, Watteos, et un constructeur, Sireos, 107 collaborateurs à Mauguio pour 60 M€ de CA) et administrateur et membre du bureau d’Occitanie Place Financière, invite à « adhérer à Occitanie Place Financière, dont la mission est justement de faciliter l’accès au monde de la finance en créant des passerelles entre les entreprises et les banques/Fonds ».
J’en apprends plus ici
Une stratégie ESG « doit être reliée au business model »
« Chaque entreprise a son propre point de départ. Il faut s’adapter à sa taille, son secteur, sa capacité à évoluer », explique Christophe Fernique (CCI Hérault). Le programme « TransitionS », porté par la CCI Occitanie et la CMA Occitanie avec l’Ademe et la Région, propose un coaching personnalisé, avec l’ambition d’accompagner 500 entreprises en trois ans : diagnostics RH et numérique, visites énergie… « C’est un parcours de 4 à 8 jours par entreprise, en fonction des besoins de chacune. Les coûts peuvent être en partie pris en charge. »
Siham Taouich défend une approche rigoureuse de la stratégie ESG : « On commence par un exercice de double matérialité, pour comprendre les impacts croisés. Puis, on élabore une feuille de route, avec des indicateurs simples mais solides. »
Emmanuelle Ostiari insiste sur la dualité du terme ‘croissance durable’. « Une stratégie ESG doit être relié au business model de l’entreprise. Sinon, ça ne tient pas. Quand on prouve qu’un changement d’équipement permet à la fois de réduire l’empreinte carbone et d’augmenter les marges, on crée une dynamique vertueuse. L’entreprise cherche des projets à impact, mais aussi à gagner de l’argent. »
Exemples de terrain
À Mèze (34), un fabricant de spiruline a réduit sa facture énergétique en investissant dans du solaire thermique, avec l’appui du Fonds chaleur.
Formaliser sa démarche ESG. « Un producteur de melons (250 salariés l’été), pourtant exemplaire, ne savait pas quoi répondre à son banquier qui lui demandait ses engagements RSE, décrypte Christophe Fernique. Il avait des certifications sociales, des engagements sur la maîtrise des produits chimiques, cultivait en HVE… mais n’avait pas de document RSE. Comme lui, beaucoup d’entreprises font beaucoup de choses, mais manquent de formalisation. L’aide de la CCI est très efficace dans ces cas-là. »
Autre exemple décrit par Siham Taouich : « Un fabricant de peintures s’était trop concentré sur les peintures couleurs, présentant les meilleures marges, mais à fort impact CO2. On a trouvé avec lui un point d’équilibre, en l’incitant à produire davantage de peinture blanche, dont les marges étaient moindres mais qui étaient plus pertinentes à développer sur le plan ESG. »
L’enjeu de l’acculturation interne
Odile Téaldi complète : « Chez Banque Populaire du Sud, nous avons formé nos équipes pour mener avec les clients un dialogue ESG. Ce sont elles qui initient les dialogues avec les clients. Il faut leur faire comprendre que les investissements ne sont pas rentables tout de suite. »
Elle insiste : « Il ne s’agit pas de faire de l’ESG cosmétique. Il faut aller en profondeur, avec sincérité. Sinon, les clients ne suivent pas. » Le dialogue ESG va être élargi en 2026 à l’ensemble de la clientèle professionnelle, « pour identifier les évolutions possibles ».
Même constat chez OCCTÉ : « Le dialogue avec les entreprises est plus riche quand les équipes internes sont acculturées. On parle le même langage. »
La finance verte menacée ?
L’actualité géopolitique internationale s’est invitée tout au long du débat. Élection de Trump avec la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris, report de la CSRD en Europe… La finance verte est-elle menacée ?
« Ces évolutions sont difficiles à entendre pour les entreprises qui ont investi dans des outils, formé leurs équipes », déplore Emmanuelle Ostiari. « Le message devient brouillé. Certains se disent : pourquoi faire tous ces efforts si rien ne tient ? »
Sophie Contreras, cofondatrice de Scop 3, abonde : « L’instabilité réglementaire décourage. Si on impose sans structurer les filières derrière, on échoue. Il faut des phases pilotes, des soutiens adaptés. » Pour Roger-Yannick Chartier (Agence de Développement et des Transitions) « la transition écologique n’aboutira pas sans une transition financière adaptée. C’est à nous, acteurs publics, de construire les bons outils. »
L’élu montpelliérain, également entrepreneur dans l’immobilier, annonce vouloir créer un fonds vert régional, accessible aux TPE et PME, en s’appuyant sur des partenariats comme ceux du BIC ou de Crealia. « Il faut être agile, proche du terrain, et sortir des dispositifs trop normés. »
« Nous sommes par contre à un tournant car nous observons un certain désengagement de l’Etat sur les énergies renouvelables, et nous attendons que le monde financier soit à nos côtés dans un environnement un peu plus risqué que ce qu’il ne l’a été », conclut Carlos Mesias.
L’équipe de foot (11 intervenants) du 11 juin : Carlos Mesias (Sowen Group et Occitanie Place Financière), Roger-Yannick Chartier (Agence des Développements et des Transitions, élu à la Ville et à la Métropole de Montpellier), Pascal Tachon (Banque de France de l’Hérault), Gentiane Gire (Bpifrance), Fabien Mansalier (Sofilaro), Odile Téaldi (Banque Populaire du Sud), Emmanuelle Ostiari (OCCTÉ), Siham Taouich (EY), Sophie Scantamburlo Contreras (Scop 3), Christophe Fernique (CCI Hérault) et Hubert Vialatte pour l’animation.