Alors que l’appellation d’eau minérale naturelle est mise en suspens par l’État, Les Indiscrétions reviennent sur les révélations explosives du rapport de la commission d’enquête parlementaire de ce 19 mai, faisant état de modifications par l’Etat de rapports sanitaires défavorables à Nestlé.
Nous avons aussi recueilli, sur le terrain, les réactions de salariés, qui naviguent entre attitude combative et forte inquiétude. C’est à lire en intégralité dans Les Echos ce lundi 19 mai, dans le reportage « Dans beaucoup de familles, on est Perrier de père en fils », en cliquant ici.

« C’est inexcusable, inexplicable, il faut inspection et sanction. Ce n’est pas possible qu’un industriel devienne co-auteur d’un rapport de l’ARS Occitanie », tacle Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête sur les eaux en bouteille, lors de la conférence de presse de ce 19 mai dressant les conclusions du rapport. Il met en avant le fait qu’un rapport sanitaire qui soulignait la présence de bactéries et de polluants dans des eaux de la source dont Nestlé Waters est propriétaire a été corrigé par l’ARS Occitanie, sur pression de Nestlé Waters, pour, selon lui, « protéger la multinationale ». « Le fait que Didier Jaffre, président de l’ARS Occitanie, se félicite dans un mail à la ministre de la santé qu’une ‘nouvelle étape a été franchie pour Perrier’, ce n’est pas normal », souligne Alexandre Ouizille.
Après 6 mois d’enquête, Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête sur les eaux en bouteille et sénateur (PS) de l’Oise, et Laurent Burgoa, président de la commission d’enquête et sénateur (LR) du Gard, ont présenté de concert leurs conclusions et recommandations ce 19 mai. Au total, 120 personnes interrogées. « Laurent Freixe, directeur général de Nestlé est venu sans avocat. Alexis Kohler, ex-secrétaire général de la présidence de la République française, a refusé de témoigner, liste Laurent Burgoa. D’autres personnes de Perrier sont venues déposer avec leur bouteille d’eau, se livrant à de vraies campagnes publicitaires hors de propos… » Et d’ajouter : « Il y a aussi Ronan Le Fanic, directeur industriel de Nestlé Waters, qui a tenu des propos ambigus en contradiction claire avec les documents que nous avons. »
L’absence de recours à l’article 40 pointée du doigt. En Occitanie, l’ARS n’apprend la fraude que 14 mois après sa révélation. « Pourtant, aucun signalement des délits n’a été fait à ce moment-là », souligne Alexandre Ouizille. Il indique que la vente s’est poursuivie une fois que l’État était au courant. « Il y a eu une inversion de rôle entre le régulateur et le régulé ici, l’industriel s’est fait co-auteur du rapport de l’ARS qui a accueilli positivement les demandes de suppression de bactéries et de polluants de Nestlé Waters. » Dans le rapport, la commission d’enquête révèle plusieurs mails de Didier Jaffre destinés au préfet du Gard et au ministère de la santé. « Ci-dessous, mes échanges avec le Préfet et la présidente de Nestlé Waters. Nous avons modifié ensemble le document », explicite l’un d’eux.
28 recommandations. La commission d’enquête liste 28 recommandations pour ce dossier. Parmi elles, une meilleure protection des zones d’impluvium (bassin recueillant les eaux de pluie), traçabilité renforcée, et refonte de la gouvernance interministérielle.
« L’avenir de Maison Perrier est assuré ». Pour Alexandre Ouizille, Maison Perrier, filiale de Nestlé Waters qui produit de l’eau aromatisée est en règle. « Seulement, je m’interroge sur un point de fiscalité qu’il faudrait changer : seule la production d’eau minérale naturelle donne lieu à des redevances locales. Ainsi, si l’activité bascule totalement sur Maison Perrier, Nestlé Waters ne devra plus rien à la ville de Vergèze. Il y a aussi le sujet de l’export : les eaux qu’on exporte ne sont pas soumises à fiscalité. Il vaut mieux vendre à l’autre bout de la terre que dans notre région », ajoute-t-il. Au total, le site Perrier de Vergèze assure 1.000 emplois directs, et 500 emplois indirects.
Crainte de délocalisation de l’embouteillage. « Nous attendons le couperet de l’État avec impatience, confie une salariée. Si nous perdons l’appellation d’eau minérale naturelle, notre crainte, c’est que Nestlé embouteille la marque ‘Maison Perrier’ ailleurs, car le site gardois ne site serait alors plus protégé. »
« Je mets en garde l’État. On n’est pas là sur un enjeu de santé publique », déclare Pascale Fortunat-Deschamps, maire (SE) de Vergèze et conseillère départementale du Gard (majorité socialiste), persuadée que « Nestlé a les moyens de se mettre en conformité, de protéger la nappe phréatique et d’installer des microfiltres légaux. À la fin, si on ne peut plus embouteiller d’eau minérale naturelle ici, la marque ‘Maison Perrier’ sera délocalisée, dans un pays aux contraintes sanitaires moindres et aux coûts moins élevés ».
> Accéder au communiqué détaillant tous les points relevés par la commission d’enquête en nous contactant sur jules@agencehv.com et hvialatte@gmail.com.
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« Votre cible, c’est Nestlé ». Point de vue intéressant, et pas lu ailleurs : un cadre de Perrier se dit « déçu par le traitement médiatique de l’affaire. On a vraiment l’impression que vous (la presse, ndlr) semblez moins préoccupé par le sort des salariés que de faire tomber un géant comme Nestlé ». Ce qui amène, selon cette source, à « de grosses inexactitudes, sur un sujet il est vrai très technique. Non, la minéralité de l’eau n’est pas altérée. Elle a toujours été identique. C’est la réglementation qui s’est durcie ». Un autre ne cache pas son malaise face à la situation. « On s’informe à travers vous (les médias, ndlr). Le fait de n’avoir aucune information en interne est très mal vécu. »
« Des jeunes ont pris des crédits immobiliers. » L’enjeu économique est pour beaucoup considérable. « Des jeunes de 25-30 ans, qui viennent d’être embauchés, ont pris des crédits immobiliers pour habiter à Vergèze ou les communes alentour : Uchaud, Aimargues, Le Cailar, Vauvert, Codognan, Aigues-Vives, Mus… », glisse une infirmière libérale gardoise, qui compte des salariés dans sa patientèle.
« Les salariés sont exemplaires ». Selon Pascale Fortunat-Deschamps, « les salariés sont exemplaires. Ils ne disent rien, ne mettent pas d’huile sur le feu. Ils travaillent, et attentent la décision de l’État de façon responsable ».
Contributions pour les collectivités. Aujourd’hui, la contribution annuelle de Perrier, au titre de la surtaxe au col perçu par les collectivités minéralières s’élève à 200.000 € pour la commune et de 2,5 M€ pour la communauté de communes Rhony-Vistre-Vidourle.
Et ça va parler Perrier à Paris. Ça devrait parler, entre autres, de la situation de l’emploi à Perrier (Vergèze – 30), dont l’appellation eau minérale naturelle est en suspens. Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, rencontre ce 20 mai à Paris Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, et, dans une réunion tripartite, Gérard Larcher, président du Sénat et Renaud Muselier, président de la Région Sud.